Nicolas Deburge est parti début 2009 en direction de l’Amérique du Sud, continent qu’il a parcouru pendant 6 mois avant de se diriger vers l’Asie du Sud Est où il travaille actuellement en volontariat pour une ONG au Cambodge.
Après son passage au Pérou, il est repassé par l'Argentine, pour rencontrer Roque Pedace, spécialiste des scénarios énergétiques...
Entre mesures de réaction au changement climatique et engagements pour l’après Kyoto.
Je parviens finalement à rencontrer Roque Pedace à Buenos Aires, après un premier rendez-vous manqué 6 mois plus tôt. L’entrevue a lieu au cœur de la ville, dans les locaux de l’université de pharmacie, où son département est logé.
Mon interlocuteur multiplie les casquettes : chercheur à l’université de Buenos Aires sur les politiques énergétiques, il s’est spécialisé sur les scénarios énergétiques. Il a pris part à un ensemble de recherches liées au changement climatique en Argentine et Amérique Latine et est intervenu sur le dernier rapport du GIEC en tant que réviseur...
Actuellement, Roque réalise un travail de conseil auprès du gouvernement argentin sur les actions de politique énergétique à prendre en relation avec les compromis de la prochaine conférence des parties, la COP 15, qui aura lieu en décembre prochain à Copenhague.
C’est donc avec impatience que je souhaitais rencontrer ce spécialiste des questions liées au changement climatique, dont j’avais entendu parler à travers son travail pour l’association Les Amis de la Terre Argentine (ATA).
Celui-ci consiste avant tout, m’explique-t-il, à aider les personnes affectées par le changement climatique en Argentine à s’organiser afin d’exposer leurs problèmes, et de défendre leurs droits. L’ambition à long terme est de lancer un mouvement climatique ample au sein de la société et non pas seulement au sein des populations touchées.
L’association ATA travaille en particulier avec les populations du bassin du Rio de la Plata, de plus en plus menacées par les effets du réchauffement climatique. Ce bassin comprend toutes les villes du grand Buenos Aires, soit le plus large foyer de population en Argentine.
Inondations et précipitations extrèmes
Les communautés vivant à proximité des fleuves se trouvent régulièrement frappées par de graves inondations, que ce soit en raison des crues répétées, ou à cause des précipitations extrêmes, dont la fréquence a augmenté significativement au cours des 30 dernières années, et de façon plus intensive encore sur la dernière décade.
A chaque nouvelle crue, il faut également compter avec une menace sanitaire liée à la pollution industrielle et aux tout-à-l’égout illégaux débouchant sur les fleuves de la province de Buenos Aires. Lors des dernières inondations en date, les eaux sales du fleuve Riachuelo longeant le quartier populaire de La Boca, à Buenos Aires, ont pénétré les maisons des habitants, donnant lieu à de nombreux problèmes d’hygiène. Plus au nord, on notait des conséquences plus directes, avec de nombreuses morts par électrocution.
Mais le cas le plus emblématique marquant cette tendance reste celui de la ville de Santa Fe, frappée par des inondations historiques en Avril 2003 lorsque le Rio Salado, un affluant du Paraná, sort de son lit. Les conséquences sont lourdes: on compte 130 morts directes, plus de 200.000 affectés et des millions de dollars de dégâts.
La capitale argentine connaît alors un record historique des précipitations avec 300 millimètres par an, ce qui constitue un record mondial pour une ville de climat tempéré comme Buenos Aires. En effet, l’ampleur de la catastrophe est liée à l’intensité des chutes d’eau dans un court laps de temps, et cette année là, la totalité des précipitations annuelles tombe dès le mois de mars.
Les ponts construits sur le Rio Salado, affluent du Rio Paraná en cause dans cette inondation étaient prévus pour supporter un débit maximum de 3000 mètres cubes par seconde - selon une étude réalisée deux ans avant les événements et basée sur 100 ans de données météorologiques. Ils n’auront pas résisté aux 3500 m3 par seconde enregistrés lors de l’inondation.
Amis de la Terre Argentine, en s’appuyant sur la Convention cadre de l’ONU sur les Changements Climatiques - ratifiée par l’Argentine - et dont l’article 6 fait référence aux moyens mis en place pour faire face aux impacts du Changement Climatique, a publiquement demandé au gouvernement de chercher les responsables de la catastrophe de Santa Fé. Suite à cette initiative, celui-ci a lancé une enquête visant à déterminer les responsabilités impliquées dans les conséquences désastreuses de cette inondation.
Depuis, l’association s’attache à faire voter la création d’un statut de réfugié climatique pour les populations affectées, ce qui rencontre une certaine opposition du fait des compensations financières auxquelles celles-ci auraient droit. En effet à ce jour, l’Argentine ne compte aucune loi qui prenne en compte les effets du Changement Climatique et détermine un système de compensation pour ses victimes.
Il y a bien eu une conférence des parties argentine, note Roque, qui a débouché sur un plan d’adaptation national, mais celui-ci ne prévoit aucune disposition concrète, aucun fonds financier. Il s’agit donc d’un calcul serré pour le gouvernement qui, s’il s’entête à nier les problèmes liés au changement climatique sur son territoire, pourra difficilement réclamer des fonds à Copenhague lors de la prochaine COP. Jusqu’ici en effet, les gouvernements successifs ont tenté de lier les conséquences du réchauffement global à la variabilité climatique et à des phénomènes tels qu’El Niño, en arguant qu’inondations et sécheresses ont toujours existé.
Et force est de reconnaître que si, dans le cas de la disparition des glaciers, il n’y a guère de doutes quant à la responsabilité du Changement Climatique, le lien s’avère plus difficile à établir dans le cas de l’augmentation des précipitations, sujet sur lequel les climatologues restent divisés.
Reste que le gouvernement est conscient de la menace climatique, et tente malgré tout de s’adapter. Chaque ville dispose d’un dispositif de prévoyance consistant à analyser les interactions et la progression des cours d’eau environnants afin de voir venir les crues avec suffisamment d’avance. De même, les villes bénéficient d’un plan de contingence des inondations, avec un système d’alerte centralisé par l’Institut National de l’Eau. Un autre plan de réaction a été mis en place au niveau fédéral, permettant de débloquer un certain nombre de fonds nationaux, jamais bien importants, et quelques crédits auprès de la banque mondiale.
Une partie de cet argent sert à financer les onéreux systèmes de pompage, comme à Buenos Aires dans le quartier de La Boca qui se retrouve inondé à chaque sudestada, quand les tempêtes venues du sud-est poussent les eaux du fleuve de La Plata contre la ville.
Mais ces systèmes de défense coûtent cher et on en voit vite la limite, étant impossible de protéger tout un littoral qui se verra progressivement affecté dans les années à venir.
Pour Roque, les populations pauvres seront déplacées tandis que celles à fort pouvoir d’achat resteront, au prix de mesures d’adaptation toujours plus coûteuses.
Si l’Argentine compte donc des systèmes d’adaptation aux inondations, le bilan en la matière reste mitigé, et l’absence totale de la problématique du Changement Climatique dans l’agenda politique est préoccupante. Lors des récentes élections législatives, aucun candidat n’a prononcé le mot, relève Roque.
A sa décharge, le gouvernement a bien des propositions à long terme qui rejoignent la position des Amis de la Terre Argentine : être neutre en carbone à la moitié du siècle, en sortant progressivement des énergies fossiles et en favorisant la plantation d’arbres.
Mais l’Argentine manque cruellement de mesures de réduction des gaz à effet de serre qui soient MRV (pour Mesurable, Reportable, Vérifiable, concept introduit en 2007 à la COP de Bali), et donc susceptibles d’être financées par des transferts de fonds internationaux, dans le cadre du protocole de Kyoto et de son successeur après 2012. On ne voit pas, estime Roque, une vraie volonté exprimée par les dirigeants et traduite par des engagements clairs. Les pays andins situés plus au nord, touchés de manière plus immédiate et plus forte par le Changement Climatique, sont nettement plus avancés dans ce processus.
En Argentine en revanche, on en est encore à se demander s’il faut vraiment mettre plus d’argent sur la table. Au grand dam d’acteurs tels que Roque, qui ont compris depuis longtemps que l’heure des questionnements et des doutes doit céder sa place à celle des actions.
Nicolas Deburge
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