Que ce soit Holi, Onam, ou Phulaich, toutes les fêtes et célébrations de l’Inde se garancent de fleurs. Un mariage n’est pas célébré sans un échange de guirlandes de fleurs (qui peuvent être terriblement lourdes et encombrantes) entre les futurs époux. Le costume d’une danseuse de Bharatanatyam n’est pas complet sans ornementer sa coiffure d’une parure florale. Une visite au temple ne se conclut pas sans avoir déposé quelques fleurs aux pieds des dieux et déesses. Une demeure n’est pas considérée auspicieuse sans une guirlande de soucis accrochée au-dessus de la porte d’entrée.
Les guirlandes de soucis sont les guirlandes les plus prisées pour décorer les temples, et guirlander les dieux. La couleur safran, couleur sacrée, fait du souci une fleur auspicieuse.
Par qui??
Par des fleurs bien plus modernes: les fleurs coupées.
En effet, après la Colombie, l’Equateur, le Kenya, le Zimbabwe, la Tanzanie et l’Ethiopie, c’est l’Inde qui se lance dans la production intensive des fleurs coupées pour l’exportation. Selon l’APEDA (Agricultural and Processed Food Products Export Development Authority - India), l’industrie des fleurs coupées rapporte plus par unité de superficie que les fleurs traditionnelles et que la plupart des cultures de subsistance. Non seulement les fleurs coupées rapportent plus mais elles rapportent des Euros ou des Dollars. L’industrie floricole est désormais présentée comme une panacée aux problèmes économiques du pays car elle offre la possibilité de revenus en devises étrangères, chose très important pour l’Inde qui se retrouve en troisième position après le Brésil et le Mexique dans la liste des pays les plus endettés du monde.
Ce leurre pour les devises étrangères contraint l’Inde à encourager la culture intensive des fleurs coupées, une activité agricole très polluante, au détriment de la culture plus écologique et plus durable des fleurs traditionnelles.
Tandis que les fleurs indiennes ne demandent ni pesticides, ni engrais, ni serre car elles poussent à profusion dans les champs, les fleurs coupées sont très exigeantes. En effet, les roses, les chrysanthèmes, les anthuriums… requièrent des températures constantes qui n’existent qu’à l’abri des serres. Vous comprenez, ces fleurs pompeuses ne supportent pas les vents, les changements soudains de températures, et les pluies. De plus, ses fleurs, trop belles pour être vraies, exigent des quantités abusives de pesticides généralement classifiés de dangereux et interdits depuis longtemps en Europe. L’activité florale est aussi consommatrice de grandes quantités d’eau et mène à une raréfaction des sources d’eau dans des régions déjà semi-arides.
Alors que tout est fait pour maintenir ces fleurs privilégiées en excellente forme, rien n’est fait pour la santé des travailleurs. Comme partout ailleurs, les conditions de travail dans les serres indiennes sont peu enviables : salaires minimums, aucune protection vestimentaire tels que masques ou gants, aucun avertissement sur le danger des produits manipulés et bien sur aucune sécurité sociale.
De plus, l’industrie floricole avec son infrastructure très spécialisée (serres à air conditionné, systèmes de réfrigération, pulvérisateurs, arroseuses à jet tournant…) exige d’immenses fermes industrielles de plusieurs hectares pour être rentable. Généralement les meilleures terres sont acquises par ces sociétés de l’agro-industrie, forçant les petits exploitants à immigrer vers les villes.
De plus en plus de terres fertiles qui auparavant produisaient des cultures vivrières sont désormais consacrées à la production des fleurs coupées. Une étude réalisée par Dr TN Prakash et Dr Tejaswini de l’ Université des Sciences Agricoles de Bangalore montre que 4 274 tonnes de grains et 200 000 jours de travail peuvent être générés si le capital employé dans un hectare de culture de roses est dirigé vers la production d’aliments de base. Avec les devises étrangères que rapporte la culture d’un hectare de rosiers, seulement 1 256 tonnes de grains peuvent être importées – démontrant ainsi clairement la non viabilité et la non durabilité de l’industrie florale (Source : D. Sharma, Selling out: the cost of free trade for India’s food security)
Pour nourrir sa population d’un milliards d’êtres humains, l’Inde a besoin d’une agriculture de conservation c’est-à-dire une agriculture en mesure de nourrir sa population. Avec les taux de productivité agricole qui risquent bien de reculer (certaines études parlent d’une chute de 30% à 40% de la productivité agricole) du aux changements climatiques, plus que jamais l’Inde doit miser la conservation de ses ressources pour la satisfaction des besoins fondamentaux. Vous avouerez que privilégier l’industrie d’exportation des fleurs coupées au détriment de la sécurité alimentaire est une recette plutôt désastreuse !
Non seulement la floriculture intensive crée des aberrations économiques et écologiques, elle a aussi des répercussions culturelles néfastes. Maintenant que l’Inde cultive les fleurs coupées, une partie de la production reste sur le marché local créant ainsi de nouveaux besoins. Les indiens sont de plus en plus nombreux à fêter la St Valentin, ou à la fête des mères avec des bouquets de fleurs. Maintenant, ce sont les chrysanthèmes, les anthuriums, les carmines… qui régalent les yeux. Ainsi, ils sont 15% de plus chaque année à vouloir de ces fleurs de serre.
Le problème est qu’avec la popularité grandissante des fleurs coupées, la demande pour les fleurs indiennes est en baisse. Pour combler ce creux, l’Inde se lance dans l’exportation de ses fleurs traditionnelles. Comme le dit Dr. Ramakrishnappa, directeur d’Horticulture, Bangalore: « Nous devons explorer le marché international pour exporter nos fleurs traditionnelles vu la chute de la demande pour ces fleurs ici en Inde…» (Source : The Hindu). Ainsi à la foire internationale d’Amsterdam en Octobre 2008, une dizaine de femmes indiennes démontraient à la clientèle internationale la confection des guirlandes de soucis.
Il se peut que d’ici quelques années, ce seront des guirlandes de souci que les français échangeront à la St Valentin, tandis qu’ici en Inde, les dieux hindous se verront offrir des bouquets de chrysanthèmes. Très intéressant cet échange de fleurs mais pas très durable !!
Article redigé par Muriel Kakani (Inde)